Le rendez vous est donné à 8 heures avec les sous traitants de la centrale nucléaire de Cruas. Eux sont là depuis 6H45. Devant l’entrée où badgent les employés, nous retrouvons une quinzaine de sous-traitants mobilisés autour d’une bannière.Derrière eux les portiques où l’on badge. Et sur un panneau s’affiche fièrement en temps réel, la production électrique cumulée de la centrale de Cruas.
Nous avons laissé la voiture au parking, plus bas, non loin de la zone réservée aux camping cars, où logent certains des sous traitants qui interviennent sur la centrale… « Les forfaits journaliers ne sont pas terribles, nous expliquera-t-on plus tard, beaucoup dorment en camping ou dans des gites, avec 62 € par jour, pas facile de prendre une chambre individuelle et des repas… certains ont même des forfaits mensuels, dans ces cas là c’est encore plus dur »
Après avoir passé les grilles extérieures de la centrale, nous sommes remontés, en suivant une colonne de salariés badges autour du cou, prêts a aller embaucher…
La mobilisation ici se fait dans un contexte difficile. Eric Barbier, délégué syndical de l’entreprisse Nuvia, filiale de Vinci (logistique, nettoyage et sécurité), nous explique «nous les vieux, on refuse de faire les choses n’importe comment, mais on se retrouve dans des placards, mais les jeunes c’est différent, ils acceptent» un autre salarié, dont l’entreprise est spécialisée dans les installations électriques, reprend « c’est très difficile de mobiliser, ils travaillent ici pour pas grand chose, mais c’est mieux payé qu’a l’extérieur, alors ils ne disent rien, ils ont peur de perdre leur emploi ». La peur de perdre son emploi c’est un peu le moteur de la sous traitance, les personnels précarisés sont plus facile à tenir. Les entreprises sous-traitantes, filiales de grands groupes ( Vinci…), font des économies sur le personnel, mais parviennent tout de même à dégager de confortables marges…
Avec les sous-traitants mobilisés, un salarié d’EDF, syndiqué à Sud Energie, est venu les soutenir « C’est difficile de mobiliser les salariés d’EDF, les syndicats EDF aussi restent timides ils ont peur de perdre leur statut en se battant pour les sous-traitants ». Cliver les salariés, l’objectif réussi du recours à la sous-traitance, mais des liens se nouent.
A la centrale de Cruas, les sous-traitants interviennent sur les arrêts de tranche (quand un réacteur est arrêté pour être rechargé en uranium). Ils effectuent 80% des tâches habituelles dans la centrale.
EDF a progressivement sous traité le nettoyage des zones contaminés mais aussi les interventions sur les réacteurs avec pour corollaire une perte de compétences. « Avant, quand une soudure était effectuée sur un réacteur, elle tenait ! Aujourd’hui certains soudeurs doivent s’y reprendre à trois fois. Ce sont des jeunes, à peine formés, les meilleurs soudeurs qui travaillaient ici avant sont partis travailler sur les chantiers navals, là où ils étaient le mieux payés»…
Très vite on comprend que ce qui se jouent ici ça n’est pas seulement les conditions de travail de salariés précarisés, mais aussi la sûreté des centrales nucléaires. «Il y a beaucoup d’entreprises d’autres pays européens, parfois les personnels ne parlent pas français, ils doivent être accompagnés d’un traducteur, mais il n’y en a pas pour chaque équipe, explique un des sous-traitant. Ils interviennent en zone contrôlée. Une foi, une alarme a retenti et l’un d’eux n’a pas compris de quoi il s’agissait »
Les témoignages s’accumulent et font froid dans le dos. « Il y a aussi un problème de fraudes : certains sous traitants annoncent qu’ils ont effectué des taches, mais ils manquent de temps pour les faire, l’ASN commence à lancer des contrôles, mais ils ne voient pas tout »
Quand on parle suivi médical des sous-traitants, les salariés soupirent : «difficile de prouver qu’un sous traitant a contracté un cancer dans le cadre de ses missions dans le nucléaire, certains ont essayé de faire des procès à leur entreprise, mais il semble que rien n’ait vraiment abouti ! » Un véritable avantage pour EDF qui peut afficher des très faibles doses d’exposition à la radioactivité pour ses salariés. « Ce sont les sous-traitant s qui prennent les doses, explique un salarié EDF, le personnel EDF lui est surtout à la conduite des centrale, pas dans les réacteurs». Eric Barbier complète « pour travailler le plus possible, les jeunes s’arrangeaient même pour laisser leur dosimètre au vestiaire, et encaisser ainsi plus de doses. Ça se fait de moins en moins», tempère-t-il.
A côté du petit groupe mobilisé, deux personnes sont installés debout à quelques mètres. On finit par se rapprocher. Ils sont représentants de la direction. Il y a là, un chargé des ressources humaines et un chargé des contrats avec les entreprises extérieures. « C’est utile qu’ils viennent faire ces revendications, avance l’un d’eux. C’est vrai que lors des précédentes grèves, les sous traitants ont obtenu une charte sociale » Ils nous expliquent qu’elle oblige les entreprises sous traitantes à réembaucher les salariés d’une entreprise qui aurait perdu le contrat (les appels d’offres sont repassés tous les cinq ans). Un sous traitant présent corrige « oui mais tout le monde n’est pas rembauché, il faut renvoyer un cv, certains restent sur le carreau».
Quand on demande aux représentants de la direction pourquoi on peut se retrouver en zone contrôlée avec du personnel parlant à peine français, l’un deux nous répond aimablement: « les directives européennes nous obligent à passer un appel d’offre européen pour les contrats de plus de 400 000€, mais on essaie dans les contrats de mettre des critères pour embaucher localement, comme le fait que le personnel doit pouvoir être mobilisé en 6 h… » sur la question de la maîtrise de la langue française (utile en situation d’urgence!), on nous répond que ce serait discriminant. En les écoutant, on aurait presque l’impression que tout ça serait la faute à l’Europe.
Ce serait le cas, sauf que l’Europe n’a jamais forcé EDF à sous-traiter 80% des tâches effectuées dans une centrale nucléaire pour faire des économies !
En attendant, ils sont quelques quinzaines de sous traitants à se battre dans les centrales nucléaires pour leurs droits et leur dignité de travailleur, mais aussi pour lancer l’alerte…. une alerte qu’il serait dangereux de ne pas entendre : cette gestion des ressources humains créé des dysfonctionnements en séries, le type de dysfonctionnement qui peut générer des accidents…
« Il y a des gendarmes qui surveillent le site, reprend Eric Barbier, mais le danger est en vérité surtout à l’intérieur. »